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Le rapport flash de la Cour Régionale des Comptes (CRC) est enfin rendu public. Il confirme nos craintes sur les risques financiers que prend le CHU de Nantes avec son projet de transfert des activités "court séjour" sur l'Île de Nantes, sur une zone inondable et enclavée, libérée par le M.I.N.

 Un hôpital public peut-il prendre de tels risques ? La logique d'entreprise à ses limites. Rentrons dans le détail.

 

1. Le projet est basé sur un endettement important de l'établissement hospitalier. Malgré les dernières promesses de l'État et de la Région qui assurent une subvention de 430 millions d'euros (M€) le reste à charge reste important, pour un projet dont les coûts sont en évolution défavorable. Selon la CRC «sur 2022-2035, le poids de la dette devrait dépasser les 30 % réglementaires entre 2025 et 2030 avec la forte hausse de l’encours de dette (+ 228 %) sur 2023-2026, liée à la mobilisation de 460 M€ d’emprunts.»

 

En particulier l'incertitude sur le coût de l'argent (taux d'intérêt des emprunts) présente  un «risque d’une augmentation non anticipée des charges financières».

Mais aussi le taux d'évolution de l'index du bâtiment a fortement augmenté, de 2% en 2020 il est passé à plus de 6% en 2022, or le CHU retient une hypothèse de révision des prix de + 2 % pour 2022 et au-delà. Cette hypothèse paraît très largement sous-évaluée. Ce risque est accru par le changement de maîtrise d'ouvrage entre la conception et l' exécution : par ce changement le CHU a renoncé à des garanties et donc : « Les conséquences dommageables des erreurs qui auraient pu être commises par celle-ci lors de la conception et qui se révéleraient lors de l’exécution des travaux devront être assumées par le CHU».

Première conséquence dénoncée : Le programme d’équipement du site de l’Île de Nantes (90 M€), pourrait en partie servir de variable d’ajustement.

 

2. Le personnel

 

La CRC insiste sur la mauvaise estimation de l'évolution de la "charge salariale" : le CHU pourrait devoir réduire cette charge pour faire face à l'augmentation des coûts, en contradiction avec l'engagement sur l'activité du futur CHU : les hypothèses d'évolution de la masse salariale sont sous-estimées, si on les compare aux années précédentes.

 

 

La question de la gestion du personnel et des conditions de travail est vue dans un l'esprit strictement comptable.

Les 52 lits ajoutés sur L’Île de Nantes à la suite de la révision de la trajectoire capacitaire en 2021 seront créés par dédoublement de chambres. Il est attendu des réorganisations de services en tenant compte des nouveaux locaux optimisés, des évolutions de prises en charge (ambulatoire notamment) et de la modernisation des outils (digitalisation du parcours administratif du patient, automatisation de la logistique).

Autre piste : diminuer les effectifs de personnels non médicaux. Il s’agit de l’optimisation de la prise en charge administrative du patient (secrétariats médicaux, admissions, facturation), le processus restauration et la prestation hôtelière, le bio-nettoyage, la gestion des médicaments et des dispositifs médicaux.

 

3. Des hypothèses irréalistes

 

En résumé : les dépenses sont prévues à la baisse par compression du personnel et les recettes à la hausse par surcroît d'activité.

C'est à dire plus d'ambulatoire (aux USA on en arrive à sortir les malades pauvres de 10h à 16h pour améliorer "le taux d’occupation") et une optimisation de la T2A.

Dans la pratique, cela suppose une bonne prise en charge en aval (soins de suite et de ré-éducation). Or le manque de place dans les établissements d’aval pouvant accueillir les patients du CHU après l’intervention de celui-ci est une difficulté structurelle, sur laquelle le CHU a peu de prise et qui pourrait s’aggraver à l’avenir. Les difficultés de recrutement que rencontrent les établissements de débouché pour le CHU sont importantes et ont tendance à s’accroître. En 2022, la part de lits fermés en soins de suite et de réadaptation évolue ainsi entre 10 et 20 %.

 

Le CHU n’a pas encore souscrit les emprunts pour le projet Île de Nantes et n’en connaît donc pas les conditions de taux d’intérêts.

 N'est-il pas temps de bifurquer ?

Abandonner le transfert, revoir un aménagement a minima sur l'Île, entretenir et rénover l'existant, faire confiance au personnel hospitalier et améliorer les conditions de travail et d'embauche.